Présidente de l’association Amici Thomæ Mori, Marie-Claire Phélippeau souligne le caractère historique du discours de Thomas More à la présidence de la Chambre des communes dont on fête le 500e anniversaire. De manière inédite, était formulée pour la première fois l’exigence du respect de la liberté de conscience des parlementaires par le pouvoir exécutif. Le chancelier d’Angleterre paiera de sa vie sa fidélité à sa conscience.
Il y a cinq cents ans, Sir Thomas More, prononçait un discours mémorable à la Chambre des Communes à Londres, dans lequel il demandait à son roi, Henri VIII, d’autoriser chaque parlementaire à décharger « librement sa conscience » et à donner « hardiment son avis » sans craindre de représailles. Cette liberté d’opinion et d’expression n’était pas chose acquise en 1523, mais Thomas More allait s’en faire le défenseur toute sa vie.
Une exigence morale pour le bien commun
Le jeune Thomas More avait déjà beaucoup écrit sur la menace de tyrannie, un état dans lequel l’autorité d’un seul réduit le reste de la population à la soumission silencieuse. Devenu député à trente ans, il avait convaincu la Chambre de s’opposer à une levée d’impôt royal jugé abusif, au risque de sa liberté personnelle.
Pour More, la liberté de conscience est avant tout une exigence morale de souci du bien commun, qui implique d’être désintéressé plutôt que de faire prévaloir sa pensée personnelle.
Écrivain, il avait ensuite imaginé ce pays de nulle part, l’Utopie, où les sages habitants avaient créé une république parfaite, égalitaire et généreuse, où l’on avait aboli l’argent et la propriété privée. More rêvait en Utopie d’institutions vertueuses où chacun était persuadé qu’œuvrer pour le bien commun garantissait le bonheur de tous. Pour More en effet, la liberté de conscience est avant tout une exigence morale de souci du bien commun, qui implique d’être désintéressé plutôt que de faire prévaloir sa pensée personnelle.
Thomas More était rapidement devenu l’ami et le conseiller du roi Henri VIII, apprécié pour ses connaissances et sa droiture. Cette haute position entraînait la redoutable responsabilité de satisfaire aux désirs du roi et cependant de préserver sa liberté de conscience. Lorsque le roi voulut annuler son mariage avec Catherine d’Aragon, pour espérer avoir un successeur d’une autre union, il comptait sur l’appui de son ami Thomas, qu’il avait nommé chancelier d’Angleterre, ce qui aurait emporté l’adhésion de tout le pays. Hélas, More ne pouvait approuver le divorce de son souverain, qui avait déjà bénéficié d’une dispense du pape pour pouvoir épouser la veuve de son frère. Comment demander aujourd’hui une annulation de cette dispense et même une annulation du mariage ? C’est pour respecter l’exigence de sa conscience que Thomas More, de façon répétée, refusa d’approuver le roi.
Coupable de haute trahison
Comme on le sait, Henri VIII trouva cette solution radicale pour résoudre la situation : se séparer le Rome, et se proclamer chef de l’Église en Angleterre, quitte à subir l’excommunication. Il plaçait par là-même Sir Thomas dans une position intenable. En tant que chancelier, More devait expliquer au Parlement la décision du souverain, qu’il n’approuvait pas, sans pouvoir exprimer sa pensée. Les souhaits formulés par More en 1523 étaient devenus plus qu’utopiques. De monarchie éclairée, l’Angleterre avait basculé dans la tyrannie. Lorsqu’en 1532, les évêques anglais acceptèrent de reconnaître le roi plutôt que le pape comme chef de l’Église, More choisit de démissionner. Ils furent très peu, à peine une poignée d’hommes, à refuser les exigences du roi, qui alors demandait que chacun vienne signer un acte où il se revendiquait chef de l’Église.
Certains prônaient de signer pour la forme et de garder son opinion pour soi. Ils rappelaient que tout sujet doit obéissance à son souverain. Et l’obéissance à Dieu ? Ne vient-elle pas en premier, arguait More, qui ne voulait pour rien au monde mettre son âme en danger de damnation. Face aux fausses sollicitations, More déclare : « Je n’ai jamais l’intention d’accrocher mon âme au dos d’un autre homme, pas même au dos du meilleur homme que je connaisse encore en vie ; car je ne sais pas où il lui prendrait l’idée de m’emmener. »