Début de la vie, fin de la vie, recherche sur l’embryon, marchandisation des corps, quelles sont les prochaines étapes des « transformations bioéthiques » auxquelles le législateur sera confronté au cours du prochain quinquennat ? Les réponses de Blanche Streb, docteur en pharmacie, directrice de la recherche et de la formation d’Alliance Vita.
Les enjeux bioéthiques des temps à venir seront majeurs, on ne peut en détourner les yeux. De nombreuses régressions sont à déplorer ces dernières années : légalisation de transgressions, dégâts dans la politique familiale, insuffisances dans la prise en charge du vieillissement, attaques contre la famille, la liberté sociale et d’éducation, contre la vie humaine de sa conception à sa mort naturelle… D’immenses prises de conscience, une sagesse éthique spéciale et une courageuse résistance morale collective — et donc individuelle — s’imposent à nous si nous ne voulons pas d’un monde qui continue à avancer en arrière…
Replacer l’humanité au centre de toutes les politiques publiques devrait être le fondement d’un projet présidentiel respectueux des valeurs fondamentales de la France, pays des droits de l’homme. Comment ? En refusant intérieurement toute forme de fatalité ou de désespérance. En pensant la bioéthique à partir de la vie, de la valeur de chaque personne et de sa dignité. En défendant un progrès au service de l’homme. En se rappelant que les forces en puissance — celles d’un progressisme effréné, du mythe grandissant de l’autonomie absolue comme seul horizon de progrès, d’une tyrannie du ressenti et des désirs individuels, d’une confusion entre le légal et le moral, du délitement d’une conscience de la loi naturelle, comme source et moyens de construction du droit et d’un progrès au service de l’homme, de la perte de la primauté du consentement libre et éclairé, de la puissance de la technique et du marché, de la fragilisation des grands principes fondamentaux de protection de la personne, du corps et de l’espèce humaine qui préexistaient au besoin de se doter de lois bioéthiques — ne sont pas inexorables.
Le début de la vie
Quels sont ces enjeux ? D’abord, ceux qui concernent le début de la vie. L’infertilité croissante — une question à la fois intime et sociétale — devrait être placée au cœur des grands défis politiques contemporains. Ensuite, le glissement vers une procréation de plus en plus artificielle, dans un double mouvement : le bébé à tout prix et le bébé sur mesure. Les biotechnologies et les techniques de sélection embryonnaire impliquent et induisent de nouvelles mentalités qui transforment notre regard sur la procréation humaine. La PMA pour tous a consacré dans les esprits une forme de droit à l’enfant, droit qui tend à s’individualiser, comme si la procréation était devenue un attribut personnel, une capacité individuelle, et non plus la seule fonction humaine parmi toutes qui se vit à deux, dans l’altérité sexuelle. En ce domaine, l’offre crée la demande, la technique entretient les désirs et revendications et même en crée de nouveaux.
Pourquoi refuser demain aux uns ce qui est permis aux autres, si désormais c’est le désir qui fait loi ?
Pourquoi refuser demain aux uns ce qui est permis aux autres, si désormais c’est le désir qui fait loi ? La porte s’est donc ouverte à toutes les demandes et aux pressions politiques que cela implique : procréation post-mortem, méthode ROPA (dans un couple de femme, l’une apporte l’ovule, l’autre porte la grossesse), PMA pour les personnes transgenres ou qui ne sont plus en âge de procréer. L’immense marché mondial des gamètes est tapi derrière nos frontières, déjà fragilisées par l’autorisation sur notre sol de l’autoconservation des ovocytes. Les principes de l’indisponibilité et de non marchandisation du corps humain doivent être protégés. Ce sont des notions importantes et fortes de notre droit dont nous pouvons être fiers, en France. Elles révèlent une vision particulière de la personne humaine.
Un glissement eugénique
Résister à la pratique de la GPA (gestation pour autrui) et maintenir son interdiction de manière efficace constitue un autre enjeu important. Aucun candidat ne se dit favorable à sa légalisation, mais la complaisance — pour ne pas dire la complicité — ambiante, le laxisme de la justice et la propagande médiatique produisent leurs effets. On constate une acclimatation des Français à cette idée. Par ailleurs, le glissement vers un eugénisme technologique et consensuel — par le recours aux biotechnologies pour sélectionner les embryons — n’a jamais été aussi prégnant et constitue à lui seul un défi fondamental. La tentation d’aller vers un dépistage pré-conceptionnel pour toute personne en âge de procréer est aussi bien réelle, la dernière révision de la loi bioéthique l’a montré. L’enjeu est celui d’un projet de société derrière lequel reposent ces questions fondamentales : qu’est-ce qu’une vie humaine et quelle humanité voulons-nous pour demain ? Autre défi, celui d’aider les femmes à éviter l’avortement par une politique de prévention globale, face à l’emballement du toujours plus et du toujours plus loin : l’Organisation mondiale de la santé vient de recommander l’avortement sans limitation de temps et sans obligation de justification médicale. En France, le délai légal vient de passer de douze à quatorze semaine. Un amendement adopté en août 2020 puis rejeté prévoyait qu’une interruption médicale de grossesse puisse être réalisée jusqu’au terme dans les situations de détresse psychosociale…
Le wokisme
Autre enjeu, vital pour les jeunes générations, lutter contre le l’idéologie woke qui s’infiltre insidieusement dans notre culture et contre cette forme de désespérance, d’ « éco-anxiété », qui gonfle et les écrase, conduisant certains d’entre eux à penser qu’il ne faudrait plus faire d’enfants, quitte à se faire stériliser dans un ultime geste « éco-responsable »…
Quant à l’embryon humain, son instrumentalisation accrue et banalisée dans le cadre de la recherche le place dans une véritable tourmente. On constate un effondrement de sa protection — notamment juridique — avalisé par la dernière loi bioéthique. En France, on est passé en quelques années d’une interdiction totale d’utiliser l’embryon humain à des fins de recherche à une quasi autorisation de tout. Alors même que les enjeux éthiques n’ont jamais été aussi importants, face aux nouvelles techniques émergentes, comme celles de la modification du génome, de la FIV 3 parents, des gamètes artificiels, des chimères ou à son utilisation dans des processus de production de thérapies dites innovantes… Des enfants génétiquement modifiés sont déjà nés dans le monde. La loi bioéthique de 2021 a autorisé l’expérimentation de la modification génétique des embryons in vitro, dans le cadre de la recherche. Résister à cette tentation de faire naître la vie en la fabriquant de toutes pièces, en laboratoire, est sans doute l’un des enjeux les plus importants des années à venir.
La fin de vie
Côté fin de vie, avec plusieurs candidats favorables à la légalisation de l’euthanasie et du suicide assistée et un président-candidat qui propose une dangereuse et contestable « Convention citoyenne », la résistance à ces dérives s’avérera vitale. La prévention du suicide ne souffre aucune exception. Aucun citoyen ne doit se sentir ou se croire indigne de vivre, d’être soigné, soulagé. Au contraire, les plus éprouvés doivent être les plus soutenus, accompagnés dignement jusqu’au terme de leur vie. Les regards se tourneront dans le prochain quinquennat vers la loi grand âge et dépendance, la lutte contre le suicide, le développement des soins palliatifs, les droits de visite aux malades et aux personnes âgées. Développer la solidarité intergénérationnelle figure parmi les trois urgences identifiées par Alliance Vita pour ce prochain quinquennat.
La famille
Côté politique familiale, les enjeux ne manquent pas, devant une natalité en berne et une précarité croissante des familles, avec une augmentation des ruptures. Il serait nécessaire de rétablir l’universalité des allocations familiales pour rendre toute son efficacité à la politique familiale, mais aussi de renforcer le soutien aux couples, de réformer le congé parental, de soutenir l’accueil des personnes handicapées. La liberté des parents de choisir l’instruction en famille s’ils estiment que c’est là le meilleur pour leur enfant, a été fragilisée lors du dernier quinquennat, il s’agit pourtant d’une liberté fondamentale qu’il conviendra de restaurer et de protéger. Par ailleurs, une croissante idéologie met en péril la prise en charge des jeunes en questionnement sur leur identité sexuée, un phénomène en expansion. Protéger les mineurs contre les violences sexuelles et la pornographie constitue aussi un enjeu des années à venir qu’il faudra continuer à relever.
Ce panorama non exhaustif des enjeux bioéthiques ne saurait occulter de mentionner ceux liés aux innovations technologiques, à l’Intelligence artificielle et à la réalité virtuelle. Devant toutes ces questions majeures, pour se faire une idée de la position des postulants à l’Élysée, plusieurs associations proposent des analyses des positions des candidats. Alliance VITA décrypte les différents programmes au regard des trois axes prioritaires — développer la solidarité intergénérationnelle, favoriser un écosystème pour la famille durable, soutenir les innovations garantes de la protection des plus fragiles — et de vingt propositions. Les Associations familiales catholiques (AFC) proposent un comparateur autour de quatre axes : Famille vivante, solidaire, écologique et durable. Dans ses perspectives pour l’élection présidentielle, Juristes pour l’enfance rappelle que le rôle de la loi est de faire respecter l’innocence et le temps de l’enfance, le statut de la minorité, l’autorité parentale et la filiation. La Manif pour tous analyse le bilan du quinquennat et les programmes des candidats dans les domaines anthropologiques et sociétaux, insistant sur la nécessité d’une vision globale de la famille et de la vie. De son côté, la Fondation Jérôme-Lejeune a analysé la loi de bioéthique, promulguée le 2 août 2021, dans un « Plaidoyer pour une éthique de la vie » adressé à tous les candidats.
« La question de la vie, de sa défense et de sa promotion appartient à toute conscience humaine qui aspire à la vérité et qui a le souci attentif du sort de l’humanité » écrivait Jean-Paul II dans Évangelium vitæ. « Seul le respect de la vie peut fonder et garantir les biens les plus précieux et les plus nécessaires de la société, comme la démocratie et la paix. »