Chers paroissiens,
La quête de Dieu, inscrite dans le coeur humain comme un appel, s’intensifie dans les situations de souffrance et de maladie. Les expériences de la fragilité, de la perte d’autonomie, de la contingence et de la brièveté de la vie, ébranlent l’existence jusqu’en ses fondements. Et la souffrance se prolonge encore dans la solitude et dans la conscience que, malgré la présence et la compassion d’autrui, cette souffrance m’appartient en propre et qu’il me revient d’en chercher le sens, c’est-à-dire, de lui donner une orientation et un horizon. Car l’autre ne détient pas de réponses, ni non plus un savoir à transmettre sur le sens de ma souffrance.
En ouvrant les évangiles, on découvre Jésus aux prises avec la complexité souvent dramatique de la vie de ses contemporains, mais il est toujours capable de toucher chacun dans le plus intime et de susciter en lui des forces insoupçonnées de vie. Celui qui cherche Jésus et Le rencontre fait l’expérience de découvrir sa propre identité et dignité. En se dessaisissant de lui-même, Jésus crée un espace de liberté, un type d’hospitalité absolument unique, où chacun peut devenir soi-même en face de Lui, sans jugement. Celui qui se découvre lui-même devant la présence simple et humble de Jésus, celui qui contemple la bonté radicale de son visage, celui qui comprend que sa vie est une promesse qui sera tenue, celui qui s’expérimente aimé dans sa singularité, celui-là peut alors repartir parce que l’essentiel de son existence est déjà donné: cette rencontre est selon l’ampleur même du désir infini de son coeur. L’amour est l’unique réponse véritable à la personne. Et, dans cette rencontre, chacun reçoit la révélation du sens de sa vie aussi bien que du chemin qui y conduit: « Je suis le chemin, la vérité et la vie » (Jn14,6). Par cette hospitalité singulière, Jésus suscite un acte de foi en la vie, dont Il ne s’approprie jamais l’origine: Il ne dit jamais « Je t’ai sauvé », mais il dit « Ma fille, ta foi t’a sauvée » (Mt9,22; Mc 5,34; Lc 8,48). La sainteté de Jésus s’exprime comme l’authenticité d’une présence, la justesse d’un comportement et la vérité d’un discours. La foi humaine en Lui en est la réponse adéquate. La vie est présence à soi et à autrui, surtout présence à Dieu. La maladie, la souffrance et la mort nous l’avaient fait oublier. Dans cette présence à Dieu on trouve à nouveau l’essentiel. Qu’importe de souffrir et de mourir, si quand je marche dans la vallée de l’ombre de la mort, Dieu est avec moi? (Ps 23,4). La vraie mort ne serait-elle plutôt l’oubli du Dieu de la vie? Le chercheur de Dieu s’attend à retrouver un homme transfiguré, au visage resplendissant. Mais le Crucifié se donne à voir dans un visage où la foi seule peut discerner les traits de la gloire éternelle. Nous l’avions oublié, peut-être trop vite: le Ressuscité est le Crucifié. Il porte sur son visage resplendissant les traces de sa Passion (Jn 20,27). Le visage du Crucifié ne renvoie pas à la beauté, mais dans le contenu tragique de ce visage apaisé il y a quelque chose de consolateur qui se manifeste à celui qui se dispose à se laisser conduire par Sa lumière.
Jésus révèle que traverser la souffrance implique la patience d’endurer ce qui arrive et d’assumer l’épreuve. Par cette patience la personne se relie aux forces de la vie, elle échappe à la clôture sur elle-même et aux pièges du désespoir et de la révolte. Il s’agit non de passivité et de résignation, mais d’un mouvement par lequel l’être humain retrouve le courage de vivre ou le courage de mourir… pour Dieu.
La rencontre avec Jésus donne la possibilité d’une affirmation de la confiance et de l’abandon total en Dieu, de l’attente d’un sens à venir de et en Dieu. Jésus nous apprend quelque chose d’essentiel sur le temps de la souffrance et sur notre propre mort au moment où se lève la dernière tentation de puissance: celle de se sauver soi-même. En dernière instance, le Crucifié témoigne d’une souffrance et d’une mort sans « inflation », tout en acceptant la « non-maîtrise » des évènements.
C’est dans ces conditions que Dieu surgit finalement comme Celui dans lequel toute confiance et espérance humaines peuvent finalement être fondées. La parole ultime du Crucifié est le renouvellement d’une confiance en Dieu par le total abandon à Lui: « Père, je remets mon esprit entre tes mains » (Lc 23,46). C’est dans la parole, que d’autres, au fil des siècles, ont inscrit leurs cris et leurs souffrances, comme l’espérance d’un sens à venir. Ce qui les a rendus capables de traverser la souffrance, d’accepter la vulnérabilité et la fragilité humaines, voire d’accepter la dernière épreuve qui est la mort.
La rencontre avec Jésus interpelle précisément par rapport à la capacité de vivre et d’accepter les limites, car Elle renvoie finalement à l’expérience d’une vulnérabilité consentie. Le chemin de Croix, qui culmine dans la résurrection, manifeste que la fragilité et la faiblesse humaines peuvent-être pénétrées de la puissance de Dieu. La souffrance de l’homme-Dieu, assumée jusqu’au bout, est l’expression d’un amour qui transforme une tragédie personnelle en une victoire sur la mort. La résurrection du Christ, acte du Père qui par son Esprit remodèle la création, autorise à espérer qu’à chacun est désormais accordée la possibilité d’atteindre sa destinée. La résurrection de Jésus permet de comprendre que, dans le corps meurtri par la souffrance, est inscrite une potentialité d’éternité. Le corps souffrant est aussi chemin vers Dieu. Dieu n’est-il finalement pas Celui qui nous rend capables de Lui, au-delà de nos limites, de nos souffrances et de nos incapacités manifestes? L’être humain est défini par ce dont Dieu le rend capable. Et Dieu le rend capable de Lui. Dans cette « capacitation » de l’être humain par Dieu se manifeste la destinée à laquelle il est appelé dès l’origine. Nos limites et nos impuissances appellent à un dépassement qui cependant ne viendra pas par nous-mêmes ni de nous-mêmes. Car, comme l’affirme finalement l’Apôtre, « Notre capacité nous vient de Dieu » (2Cor 2, 5-6).
Bonne semaine Père Gérard.