LA VIE / 1° AVRIL 2022
Exceptionnellement cette année, les temps du carême et du ramadan se chevaucheront pendant quelques jours, le ramadan commençant le 2 avril 2022. Malgré d’apparentes similitudes, ces deux démarches demeurent radicalement différentes.
Par Youna Rivallain
Carême des musulmans, ramadan des chrétiens ? La ressemblance entre les deux démarches spirituelles invitant à une forme d’ascèse peut parfois prêter à confusion. En France, la proximité entre les communautés musulmane et catholique conduit parfois à certains mélanges dans le vocabulaire utilisé. En particulier lorsque ces deux temps se superposent, comme c’est le cas cette année. Le mois du ramadan commence ce 2 avril 2022, et dure jusqu’au 2 mai. Quant au carême, entamé le mercredi 2 mars, il se terminera le 17 avril, dimanche de Pâques.
Si les deux démarches peuvent se ressembler de l’extérieur, elles demeurent radicalement différentes tant sur le fond que sur la forme. Le carême est un temps de préparation pour Pâques. Pendant 46 jours (soit 40 jours + les dimanches, qui liturgiquement, ne « comptent » pas comme temps de carême), entre le mercredi des Cendres et le dimanche de Pâques, les catholiques vivent un temps centré sur trois piliers : prière, partage, jeûne.
Cette période de 40 jours s’inspire des 40 ans que les Hébreux ont passés au désert lorsque, menés par Moïse lui-même guidé par Dieu, ils quittent l’Égypte, terre
d’esclavage, pour rejoindre Canaan, la Terre promise par Yahweh. Le carême commémore aussi les 40 jours de tentation du Christ dans le désert avant de se préparer à sa mission (Évangile de Matthieu chapitre 4, versets 1 à 11).
Se détacher du superflu
Au cours de cette période précédant Pâques, chaque catholique (les protestants et orthodoxes ayant des traditions différentes) est invité à prendre conscience de ce qui est superflu et l’éloigne de l’essentiel pour s’en détacher progressivement, le but étant de se rapprocher de Dieu. Le carême est donc un temps de privations et de jeûne, mais il n’obéit pas à une loi promulguée par Dieu.
Il est un temps de marche vers la résurrection de Jésus, à la fois une démarche personnelle de conversion individuelle et un mouvement collectif de l’ensemble des chrétiens. Quant à l’ascèse, les catholiques ne la vivent pas de manière strictement alimentaire. « On peut l’élargir à notre usage de la technologie, des écrans… Tout ce qui nous éloigne de l’essentiel », précise à La Vie Jérôme Bascoul, vicaire épiscopal délégué à l’oecuménisme pour le diocèse de Paris.
À l’inverse, le ramadan (qui correspond au neuvième mois de l’année musulmane, année lunaire) n’est ni une préparation, ni la commémoration d’un événement. Rite le plus pratiqué par les musulmans, cette période de 29 ou 30 jours est un temps de purification rituelle et de lutte contre les tentations, mais surtout d’obéissance à Dieu. Contrairement au carême, dont l’usage est apparu au IVe siècle (et a été établi dans son calendrier actuel au VIIe siècle), le jeûne, rituel du ramadan, quatrième pilier de l’islam, a été décrété en 624, soit deux ans après l’Hégire (début de l’ère de l’islam, année où Mahomet s’enfuit à Médine).
La signification de cette ascèse n’est pas donnée dans le texte, mais Mahomet en aurait été le premier destinataire. L’ascèse observée au cours du ramadan consiste à s’abstenir de toute nourriture et boisson, de relations sexuelles et à ne pas fumer du lever au coucher du soleil. Cette période est un temps d’humilité et d’obéissance. Face à Dieu, l’homme se remet à sa place de créature, d’adorateur.
Laylat al-Qadr, la nuit la plus sainte de l’année
Si le ramadan n’est ni une préparation ni la commémoration d’un événement, cette période comprend Laylat al-Qadr, la nuit la plus sainte de l’année. La 27e nuit du mois du ramadan, aussi appelée Nuit du destin, commémore celle au cours de laquelle le Coran aurait été révélé à Mahomet par l’archange Gabriel. Selon le Coran, pour les musulmans, cette nuit est « meilleure que mille mois » de prières, de bonnes actions et d’invocation. Prier toute la nuit est autant récompensé par Dieu que prier pendant mille mois. Ainsi, de nombreux musulmans passent une partie, ou toute la nuit, à prier ou à lire le Coran.
Comme le carême, le ramadan est un temps de partage. Pendant la journée, d’abord, celui ou celle qui pratique le ramadan vit le manque au même titre que le pauvre. Et quand vient le moment de la rupture du jeûne, le musulman doit veiller à ce que son voisin plus pauvre ait tout ce qu’il faut pour rompre le jeûne. Les repas sont partagés en
famille, parfois avec les voisins, avec une attention particulière envers les plus modestes.
Le carême, une ascèse discrète
En revanche, à la différence du ramadan où le jeûne est vécu de la même manière par tous les musulmans, l’ascèse observée par chaque catholique au cours du carême se veut discrète, secrète presque. Ce secret prend sa source dans l’Évangile de Matthieu qui, au chapitre 6, rapporte ces paroles de Jésus.
« Quand vous jeûnez, ne prenez pas un air abattu, comme les hypocrites : ils prennent une mine défaite pour bien montrer aux hommes qu’ils jeûnent. Amen, je vous le déclare : ceux-là ont reçu leur récompense. Mais toi, quand tu jeûnes, parfume-toi la tête et lave-toi le visage ; ainsi, ton jeûne ne sera pas connu des hommes, mais seulement de ton Père qui est présent au plus secret ; ton Père qui voit au plus secret te le rendra. »
Tous les ans, les évêques catholiques envoient un message de soutien aux musulmans de France pour le ramadan. Ce 31 mars, Jean-Marc Aveline, archevêque de Marseille et président du Conseil pour les relations interreligieuses et les nouveaux courants religieux au sein de la Conférence des évêques de France, a tenu à exprimer ses meilleurs voeux aux musulmans à l’occasion du ramadan.
« En ce mois de jeûne, de prière et d’aumône dans lequel vous vous engagez, (…) je vous propose de nous stimuler mutuellement à mieux plaire à Dieu en servant nos frères et soeurs en humanité, et tout spécialement ces enfants, ces mères, ces personnes âgées, qui ont dû prendre le chemin de l’exil, par suite de la destruction de leurs villes et villages, non seulement en Ukraine, mais dans de nombreuses autres régions du monde. »
Par Youna Rivallain