Aujourd’hui âgé de 92 ans, Guy Coponet était présent lors de l’assassinat du père Jacques Hamel le 26 juillet 2016. Contraint par les terroristes à filmer la scène, il a ensuite été grièvement blessé. Partie civile dans le procès de Saint-Étienne-du-Rouvray, il a livré ce jeudi un témoignage bouleversant devant la cour spéciale d’assises de Paris.
« Je peux vous raconter le déroulé de ma journée du 26 juillet 2016. C’est frais dans ma tête jusqu’à la fin de ma vie. » À 92 ans, devant la cour d’assises spéciale de Paris, Guy Coponet impressionne par son calme, sa simplicité et sa clarté. Témoin direct de l’assassinat du père Jacques Hamel, il a été contraint par les terroristes de filmer son martyre avant d’être à son tour frappé de nombreux coups de couteau. Il s’en sortira finalement in extremis. Son audition ce jeudi 17 février en tant que partie civile ne l’oblige pas à faire une déclaration. Il pourrait simplement répondre aux questions du président de la cour d’assises, des avocats. Mais il choisit néanmoins de le faire. « Et vous me poserez des questions après », lance-t-il. « Je pense à eux [les terroristes, ndlr] tous les matins », raconte-t-il. « Quand je me rase il faut que je fasse attention à ne pas me couper car une zone est devenue insensible. » Cette zone, au niveau du cou, c’est une cicatrice d’une vingtaine de centimètres due à une tentative d’égorgement perpétré par l’un des terroristes. « Dès qu’on rêvaille un peu, les images reviennent. Dans le dos, aussi. Ça reste gravé vous savez. Il n’y a pas de danger que j’oublie. »
Le 26 juillet, jour de son 87e anniversaire, Guy Coponet assiste comme à son habitude avec son épouse Janine à la messe célébrée par le père Jacques Hamel. À la différence de la messe du dimanche, l’entrée pour l’office en semaine ne se fait pas par la grande porte mais par la sacristie. C’était les vacances, il y avait donc moins de monde que d’habitude. « Trois sœurs, mon épouse (Janine, ndlr) et moi », résume-t-il. « Comme d’habitude, il faisait beau, le père Hamel était joyeux car il partait en vacances après ! » L’office commence et au cours de la messe un homme pénètre une première fois à l’intérieur pour un renseignement. L’une des religieuses lui demande de repasser plus tard. Il repart. À la fin de messe, la porte s’ouvre une nouvelle fois. Violemment. Pénètrent alors deux hommes : Adel Kermiche et Abdel-Malik Petitjean.
Il l’a répété une deuxième fois, en prenant un air autoritaire comme un ordre : « Va-t’en Satan ». Le sang s’est mis à vomir. Et le père n’a plus bougé. C’était terminé pour lui.
« Ils m’ont mis sur le premier banc, m’ont déposé dans les mains cet engin photo », reprend-t-il. « Ce que je voyais dans l’appareil était retransmis dans un autre. Je me suis dit qu’il fallait que je vise bien, je me suis bien gardé de déplacer quoi que ce soit. J’ai fait ce qu’on m’a dit de faire. » Le père Jacques était alors toujours sur son banc. « Ils l’ont attrapé, l’ont mis à genoux et lui ont donné des coups de couteau. » Dans la salle d’audience, les secondes s’écoulent tout d’un coup plus lentement. Plus douloureusement. L’émotion étouffe la voix de Guy Coponet. « La souffrance qu’il a pu ressentir à ce moment-là », déclare un sanglot dans la voix le paroissien. « Le Vendredi saint, autour de l’église, les catholiques font le chemin de croix. Désormais je ne peux plus. J’y vais à chaque fois mais les deux dernières stations… C’est le père Jacques, c’est ce qu’il a subi. »
« Ils l’ont massacré comme ça »
« Ils l’ont massacré comme ça. Je ne sais pas si c’est une question de foi, s’ils croyaient qu’ils faisaient ça pour la religion, ces deux lascars. » À quelques mètres de l’estrade, ils le trainent à terre. « Lui s’est défendu comme il a pu, avec le peu de force qui lui restait, avec ses pieds il repoussait le meneur », reprend-t-il. « Pendant que l’autre s’approchait de lui, père Jacques a dit « Satan va-t’en ». Il l’a répété une deuxième fois, en prenant un air autoritaire comme un ordre : « Va-t’en Satan ». Le sang s’est mis à vomir. Et le père n’a plus bougé. C’était terminé pour lui. »
Le père Hamel aura reçu au total neuf plaies par arme blanche sur la partie haute du thorax. La scène déjà insoutenable, ne s’arrête pas là. « Ils m’ont enlevé l’engin des mains et m’ont monté sur l’estrade », reprend Guy Coponet. Les deux terroristes détruisent leurs appareils et l’un d’eux se tourne alors vers lui en lui disant : « C’est à toi maintenant. » « Il arrivait avec quelque chose dans la main et je lui ai dit : « Qu’est-ce que tu vas faire, tu vas tuer ton grand-père ? » », se remémore-t-il.
Surtout ne bouge pas car si tu bouges il va te terminer.
Il reçoit des coups de couteau dans le dos, le bras et puis la gorge. « De l’estrade il m’a balancé sur le côté. Je suis retombé deux-trois marches plus bas ». Guy Coponet a alors le réflexe de se serrer la gorge. « Il m’est venu à l’esprit : « Surtout ne bouge pas car si tu bouges il va te terminer » ». Il reste donc ainsi par terre, à attendre.
Que s’est-il passé dans sa tête ? « Ça a été long, il était temps. Il s’en suffisait de peu pour que ce soit pire. Toute la présence spirituelle qu’on continue à avoir, ça tourne, on rentre en prière perpétuelle. On a l’impression d’être dans une retraite spirituelle, on fait le bilan de ce qu’on a fait, ce vers quoi on peut aller. » C’est aux dernières paroles du « Je vous salue Marie », « Maintenant et à l’heure de notre mort », qu’il voit enfin quelqu’un entrer. « Je sais que les secours et les policiers étaient bien occupés mais il était temps qu’ils arrivent », reprend-t-il.
La cour salue sa résistance et sa résilience
Il est transféré au CHU de Rouen où il subira plusieurs opérations. « Le médecin a souligné hier votre résistance physique exceptionnelle compte tenu des souffrances », lui répond alors Franck Zientara, le président de la cour. « On la mesure à l’occasion de votre récit. La cour salue cette résistance et cette résilience. »
Que ceux qui ont donné des ordres, que ceux qui ont formé ceux qui sont venus, que ces gens-là viennent demander pardon à tous ceux à qui ils ont fait de la peine.
Après ce témoignage bouleversant, dont chaque personne présente dans la salle mesure la profondeur, le président de la cour d’assise lui demande : « Qu’attendez-vous de ce procès en vous constituant partie civile ? ». Il répond sans détours : « Que ceux qui ont donné des ordres, que ceux qui ont formé ceux qui sont venus, que ces gens-là viennent demander pardon à tous ceux à qui ils ont fait de la peine. Ce serait un tel rétablissement de communauté ». Les mots se font plus profonds, plus lumineux. « Quand on ne pardonne pas, cela devient de la haine. C’est invivable. »
L’acte d’abandon résonne dans la salle Voltaire
Sur un autre ton, plus léger, il se confie à la suite d’une autre question sur son passage à l’hôpital et l’appel de François Hollande, alors président de la République, qu’il a reçu. « Je lui ai peut-être remonté le moral, j’étais tellement heureux d’être en vie », lance-t-il. « Et puis j’aimais mieux être à ma place qu’à la sienne ». Un autre avocat l’interroge sur son quotidien aujourd’hui, va-t-il toujours à la messe etc ? Son épouse étant décédée l’année dernière, c’est seul qu’il se rend à la messe. Enfin pas tout à fait seul. « Dans une messe, on reçoit la présence, une présence, c’est le Seigneur qui est là. J’y vais toutes les semaines, comme auparavant avec mon épouse, et le Seigneur est là », raconte-t-il. « En revenant à la maison, je passe par le cimetière et je la retrouve. Et le Seigneur est là. Je reste en présence avec elle. Ça me donne une liberté. C’est l’amour. »
Seigneur fait de moi ce qu’il te plaira. Quoi que tu fasses de moi je t’en remercie, je suis prêt à tout, j’accepte tout pourvu que ta volonté soit faite en moi et en toutes tes créatures. »
Alors que son audition se termine, l’une des avocates générales de ce procès a tenu à lui redire à quel point sa déposition l’a touchée et le courage qu’il a eu de venir. À la dernière question de savoir s’il avait quelque chose à ajouter, sa réponse se fait une nouvelle fois, bouleversante. « Dans tout ce qui s’est passé, je n’y suis pour rien. Seigneur, fais de moi ce qu’il te plaira. Quoi que tu fasses de moi, je t’en remercie, je suis prêt à tout, j’accepte tout pourvu que ta volonté soit faite en moi et en toutes tes créatures. » Ses mots, ceux de la fameuse prière d’abandon de Charles de Foucauld, s’envolent dans la salle Voltaire dans un silence solennel, respectueux. « C’est un besoin de donner, par amour. C’est ça le moteur, la force. Je n’y suis pour rien. »