Dans son livre « Bienheureux sommes-nous d’être minoritaires » (Mame), le père Paul Valadier montre comment la réduction du nombre de catholiques en France est un défi et une opportunité pour être un « ferment dans la pâte ». Pour Aleteia, il explique en quoi cette situation invite à s’armer intellectuellement et spirituellement pour être à la hauteur de l’enjeu.
Est-il vraiment contestable que le catholicisme en France devienne minoritaire, si l’on songe à la baisse dans la pratique des sacrements, au nombre de plus en plus faible d’enfants catéchisés, à la diminution des vocations religieuses ou presbytérales ? Ce phénomène peut inquiéter et provoquer dans l’Église catholique des réflexes sectaires, de repli sur soi, de méfiance envers la société en général, de divisions internes entre « progressistes » (ou soi-disant tels) et « traditionalistes », sans même parler d’une « implosion » annoncée par certains sociologues.
Un ferment dans la pâte
En réalité, une telle situation doit être regardée en face, et dans la foi, considérer qu’elle est le lieu inéluctable et nécessaire du témoignage de la Bonne Nouvelle évangélique, sans peur et sans nostalgie. Car c’est là que Dieu nous demande de témoigner, et une Église minoritaire à condition qu’elle ne se replie pas sur soi, a d’immenses chances d’être un ferment dans la pâte, ce « sel » dont parle l’Évangile, indispensable pour toute alimentation. Minoritaires, les catholiques ne seront pas soupçonnés de vouloir dominer la société ; ils pourront tenir une parole contestataire à l’égard des penchants néfastes de l’époque, à condition de proposer un discours de raison, d’avancer des arguments sérieux, d’imaginer des solutions concrètes.
Les croyants n’ont pas nécessairement des solutions « clés en mains », mais ils peuvent et doivent alerter là où l’opinion publique s’assoupit.
Et il ne manque pas de domaines où est attendue une parole avertie : sur l’environnement, et le pape François a déjà ouvert la voie avec son encyclique Laudato si’de 2015 ; mais comment rester silencieux sur les rapports internationaux quand les règles de droit sont si largement bafouées en tant d’endroits du monde ; or un souci de l’universel et de rapports sains entre nations devrait être un souci majeur chez des catholiques ; d’ailleurs la création de l’Union européenne, ne l’oublions pas, doit beaucoup à des catholiques audacieux qui ont su surmonter les replis nationalistes de méfiance entre peuples. Mais on peut évoquer aussi les questions dites sociétales concernant les rapports entre hommes et femmes, le souci des plus faibles et des marginaux de nos sociétés, depuis l’embryon jusqu’aux vieillards, sans oublier les migrants qui frappent à nos portes, etc. On doit aussi tout simplement rappeler que nous sommes tous embarqués dans le même bateau, en référence à l’idée de bien commun tellement essentielle et classique dans la doctrine sociale de l’Église, référence qui nous délivre de l’individualisme dominant.
Proposer le débat
En tous ces domaines, les croyants n’ont pas nécessairement des solutions « clés en mains », mais ils peuvent et doivent alerter là où l’opinion publique s’assoupit, se laisse porter par l’individualisme de pseudo-droits, croit inventer des solutions dans le sens du progrès alors qu’elles font régresser nos sociétés. En vrais démocrates, ils peuvent et doivent proposer le débat et la discussion, en écartant cette haine qui dévore actuellement l’espace public, soit envers ceux qui, non sans mérite, assument des responsabilités politiques (maires, députés, ministres, responsables aux plus hauts niveaux), soit entre groupes sociaux.
Loin d’être accablante, une situation minoritaire est à la fois un défi et une opportunité.
Et si les croyants catholiques peuvent contribuer au débat, c’est parce que leur tradition religieuse leur fournit une sagesse séculaire et forte, des références spirituelles et intellectuelles aptes à nourrir leur intelligence, leur volonté, et donc leur action. Les Écritures nous offrent en effet des incitations à l’action charitable et des références vigoureuses pour affronter nos problèmes et ne pas nous voiler la face devant les violences de toutes sortes dont nous sommes les témoins stupéfaits : guerres civiles ou entre peuples, surarmement des nations qui entretiennent la méfiance et l’hostilité, abus sexuels, corruptions de toutes sortes, trafics de drogues ou d’êtres humaines, mépris des faibles, saccage de l’environnement… Mais aussi bien, l’Église catholique par sa doctrine sociale invite à ne pas baisser les bras et mobilise en offrant des réflexions opportunes et des incitations à l’action, sans parler des richesses doctrinales que l’on peut trouver dans les spiritualités et les théologies, malheureusement souvent mal connues des catholiques eux-mêmes.
Un défi et une opportunité
C’est dire que le témoignage en situation minoritaire consiste d’abord à s’armer intellectuellement et spirituellement pour être à la hauteur dans une actualité d’autant plus exigeante que nous avons à démontrer notre capacité à témoigner de manière raisonnable de notre espérance, comme nous le demande l’apôtre Pierre dans sa première épître (3, 15b). Loin d’être accablante, une situation minoritaire est à la fois un défi et une opportunité. Un défi car elle peut porter au découragement ou à un repli nostalgique sur soi, voire même à des déchirements internes à l’Église. Une opportunité si nous savons tirer profit d’une situation qui nous est donnée pour proclamer la Bonne Nouvelle dont nous sommes porteurs et qui nous porte aussi et surtout.