Chers paroissiens, cette semaine nous continuons notre découverte des écrits du Père Michel Martin-Prével qui nous parle des verbes qui jalonneront notre attente du Verbe qui se fait chair à Noël. Cette semaine compatir, se convertir , pardonner.
Compatir :
La définition de compatir est partager le mal d’autrui, s’attendrir sur lui, le plaindre, ou en avoir pitié. Non dans le sens d’une condescendance mais d’un intérêt altruiste, un souhait que les souffrances de l’autre soient soulagées. Compatir, c’est s’accorder à quelqu’un. Compatir, c’est devenir compatible, comme on dit en informatique. On parle alors de com-misération, de misère partagée. Compassion et miséricorde se ressemblent, pour tendre une « corde à la misère ». Dans la compassion, il y a la reconnaissance que je peux vivre la même misère que mon prochain, la même passion, au sens de souffrance. Son origine est-elle purement humaine ? Quand on voit le nombre de soignants à travers le monde qui sont si souvent des chrétiens on ne peut plus s’interroger sur son origine, parce que la compassion s’enracine dans la miséricorde divine. Seul Dieu est compatissant dans chacune de nos attitudes. Mais il y a une différence entre compassion et miséricorde. La miséricorde est l’état du cœur de celui qui fait compassion, qui en est l’exercice, l’opération de la miséricorde.
Un autre mot biblique mal compris est celui de « pitié ». « Les gens ont pitié des autres dans la mesure où ils auraient pitié d’eux-mêmes », dit Giraudoux. Peut-être que la pitié est ce qui commence la compassion, qui tourne le cœur avant de gouverner la main. Un autre mot biblique aussi riche se nomme « consolation ». Là, nous sommes dans le résultat de la compassion : le soulagement apporté à la souffrance, l’apaisement, la délivrance de tous les maux. On ne la connaîtra vraiment qu’au ciel, où il n’y aura plus de pleurs ni de peines, et où la compassion deviendra alors charité joyeuse et paisible.
Se convertir :
En latin, convertere veut dire changer, tourner vers autre chose et conversor, verbe pronominal, signifie se tourner. En religion, la conversion, la métanoïa grecque, le changement de croyance est aussi changement de vie. La conversion en ski fait changer de côté sur la pente et retourne le skieur à 180°. C’est une transformation pour un mieux ! Sinon à quoi bon se convertir ? Et nous retenons d’abord les efforts que cela exige avant de se fixer sur son but qui est une amélioration de notre état. Question classique : faut-il convertir les autres ou soi-même ? « Seigneur, change mon conjoint, s’il te plaît ! », disons-nous souvent intérieurement. Mais ne s’agit-il pas d’abord de se convertir soi-même ? Parce que si je change, la relation à l’autre change et influe sur son comportement. « Se convertir, c’est se délivrer » (Antoine de Saint-Exupéry), se délivrer d’habitudes mauvaises, de comportements répétitifs, qui se sont installés en nous et sur lesquels nous sommes devenus aveugles, en plein pharisaïsme.
Parce que l’objet de la foi n’est pas un idéal mais une personne, se convertir ce n’est pas changer d’idées, mais se tourner vers quelqu’un. C’est mettre à la place de choses banales, misérables parfois, une passion nouvelle, un engagement résolu à suivre le modèle des Béatitudes, le Maître du bonheur. La grande affaire de notre vie n’est pas de vivre mieux (en fonction de quel critère d’ailleurs ?) mais différemment, sur un autre registre, un autre logiciel, souvent connu mais oublié. Le premier bénéficiaire d’une conversion est la personne elle-même qui se trouve plus heureuse, joyeuse, unifiée, et les autres en bénéficient à leur tour et se posent les bonnes questions. La mission chrétienne est d’abord affaire de conversion personnelle et Dieu fait le reste, tant il est vrai que nous prêchons très mal ce que nous ne vivons pas d’abord nous-même. Il est toujours temps de se convertir, même sur son lit de mort !
Pardonner :
Pardonner à quelqu’un pour une faute, c’est être deux personnes en face d’un mal qui les divise. Pardonner une faute est plus facile en distinguant la personne de la faute, en se centrant plus sur la personne que sur sa faute, surtout quand elle est proche, et sans pour autant l’excuser. Dans le pardon, justice et miséricorde s’entremêlent. Parfois on cherche à comprendre pour mieux pardonner, nécessité d’un dialogue sans se « prendre la tête » sur toutes les causes de son mal. Difficile mais simple, l’étrangeté du pardon est qu’il est gratuit, l’autre ne méritant pas d’être pardonné. Le pardon est difficile dans son exercice, mais il est fort par ses effets. Il est actif par un acte de volonté, comme l’amour.
Peut-on tout pardonner ? Tout, mais en son temps, en sachant que cela reste difficile mais possible à terme, avec un allié qui est le temps, dans la patience pour laisser l’autre faire son travail ou soi-même trouver plus de raisons de pardonner. Ne jamais dire : « Je ne lui pardonnerai jamais », car c’est fermer la porte à clé. Laisser un pied dans la porte ! Ne pas confondre les deux démarches : pardonner et demander pardon. Si nous ne sommes pas responsables de l’offense, nous le sommes de ce que l’on en fait. Ressasser dans le ressentiment (ressentir à nouveau) renouvelle et aggrave la peine. Au titre des obstacles, méfions-nous du refus de pardonner pour punir l’autre ou de l’illusion du pardon en oubliant ou en excusant son offenseur.
Les fruits du pardon sont la paix, même quand l’autre n’a pas demandé pardon, l’envie d’une réciprocité en demandant pardon à son tour, la liberté par rapport à l’offense et l’offenseur, et la réconciliation, somme du pardon demandé et accordé. La réconciliation demande que les deux finissent leur travail, contre le sentiment d’innocence pour l’offenseur et la victimisation pour l’offensé. Le plus beau verbe de la vie chrétienne et la marque du christianisme sont le pardon, parce qu’il est impossible à l’homme. Il devient possible en laissant Dieu pardonner en nous, dans la grâce de la Croix, où le Christ a tout pardonné pour nous : « Père, pardonne-leur : ils ne savent pas ce qu’ils font » (Lc 23, 34).